— Demain, j’anime un meeting, mon pote.
La fierté sortait par toutes les pores de
sa peau, ses yeux brillaient, Nathanaël annonça une centaine de réponses au
mail générique qu’il avait aux étudiants domiciliés à la Croix-Rousse.
— Certains ont confirmé leur présence au
meeting, d’autres m’ont félicité pour le « weblog ».
— Et tu n’as mené aucune action sur le
terrain ?
— Si, bien sûr, je pense que peu de
Croix-Roussiens de notre âge a pu échapper à notre distribution de tract.
— Et il paraît que vous avez fait un sacré
battage à l’ESCL !
Nathanaël en convint.
— Et toi, tu as ta carte électorale au
moins ?
— Euh…
Il l’arrêta d’un geste :
— Non, Dimitri, là, tu déconnes.
Il nota en pensée d’insister sur ce point
dans son discours : tous les étudiants devaient effectuer les démarches
nécessaires et inciter leurs pairs à les engager.
— Laisse tomber, je sais que tu vas le
faire, ajouta-t-il, magnanime, et tu seras là demain.
Ce n’était pas une question, Nathanaël
avait tout misé sur cet évènement et attendait un soutien indéfectible de ses
amis.
Le lendemain, la vingtaine d’étudiants
fidèles à Nathanaël le trouvèrent à l’entrée de la salle une demi-heure avant
l’heure. Parmi eux, s’avancèrent notamment Valérie et Dimitri. Le jeune homme venait
de s’adonner au serrage de mains et s’apprêtait à passer sous les feux de la
rampe. Une ligne de spots traçait déjà le chemin qui le mènerait vers le
podium. Les deux amis n’eurent pas besoin d’échanger un mot : la
salle grouillait, depuis une demi-heure maintenant ; l’excitation
montait au rythme de la musique de contre-fond. Valérie se retourna avant de
rejoindre sa chaise, le jeune homme capta ses encouragements parmi la multitude
des regards pointés vers lui. En plus de leur travail de pistage des jeunes Croix-Roussiens,
les étudiants recrutés pour le seconder avaient rebattu les oreilles de leurs
condisciples de l’aspect fondateur de la politique dans le management, puis
avaient glissé avec des sourires entendus que la soirée qui suivrait serait
mémorable : de nombreux élèves de l’ESCL s’étaient déplacés alors que
leur école se situait à une bonne dizaine de kilomètres de là. S’ajoutaient des
officiels, des coéquipiers de la liste, et aussi des personnes d’autres générations,
ce qui, pour Nathanaël, constituait une cerise sur son gâteau de fête. Il
éprouvait, pour tous ses futurs électeurs, quel que soit leur âge, un élan de
sympathie authentique.
Les lumières commencèrent à se tamiser. Le
jeune politicien marcha dans l’allée sans cesser de serrer des mains. Les
applaudissements s’enclenchèrent alors qu’il était à mi-parcours. Devant lui,
la scène. Il eut une pensée pour la tribune qui avait été à l’origine de sa
vocation. Sur le côté, au pied du rideau noir, se tenaient Riviere et des
membres de l’équipe.
Il ne lui restait plus que quelques mètres.
Riviere s’empara du micro ; les
pas du jeune homme eurent une hésitation, mais il poursuivit, accrochant son
sourire de vainqueur au-dessus de sa chemise à carreau fétiche : jaune,
couleur de l’action pour lui, celle qui ferait avancer les foules. Il se plaça,
docile, près de son mentor. Il se répétait les formules clefs qu’il avait
préparées afin de présenter leur projet, quand il réalisa que le discours du
maître, nourri d’anecdotes, éloquent, montait en puissance. Il était bon, très
bon… et s’éternisait. Couvant le benjamin de son équipe d’un regard chargé d’une
feinte gratitude, Riviere ne lui laissait que des miettes. Plusieurs fois, le
jeune homme avança la main, croyant que son tour arrivait, geste que l’on prit
pour un acquiescement de sa part aux idées qui se développaient sans lui. Il y
eut, après un temps interminable, les félicitations d’usage, une formule bien
ronde qui l’associait tout en le tenant à l’écart. Lorsqu’il eut le micro, le
sujet était clos ; l’étudiant éconduit faillit en oublier de donner
le feu vert à la soirée. C’était à peu près tout ce qu’on lui accordait, il
réussit à placer une plaisanterie avant l’annonce attendue. Lui ne remercia pas.
Le brouhaha des chaises portées sur le côté
masqua sa déception. Nathanaël découvrait la gérontocratie dans toute sa
splendeur. Il descendit de l’estrade, la musique de la soirée était lancée, la
salle se transformait.