À la hauteur - extrait

 

Bientôt, le portail s'élance en des arabesques élégantes vers un écusson qui a dû avoir ses lettres de noblesse. Jusqu'à maintenant, j'ai surtout admiré des monuments aux morts. Quelques vierges drapées dans leur mystère parfois. Les églises aussi, de loin, sauf celle d’Amélie. Nous marchons dans une allée. De nouveau des arbres…

— Tu sais pourquoi je suis un peu chez moi ? demande Alex, triomphante.

Je réponds distraitement.

— Mon papa dit que je suis une princesse !

Je reste muette. Impossible de lui rétorquer que, moi, il me disait que j'étais une traînée. Je m’appuie à un tronc.

— Mathilde, ça va ? s’inquiète la petite.

Non ça ne va pas. Elle, elle ne verra plus ses parents. Et moi, si ça se trouve, je n'ai plus qu'un père, cet homme qui m'a élevée dans le doute de moi… Heureusement, Alex me tire vers un espace immense où des sapins inoffensifs ont survécu à la razzia de noël. Et tandis qu’elle s’éparpille entre les rangées restantes, je m’avance vers le lac qui se repose dans le fond.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;

On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,

Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence

Tes flots harmonieux.

Dans le bar où j’ai travaillé, un recueil de poèmes traînait dans un coin. Lamartine. (Je l’ai troqué contre mon Thilliez, en souriant d’avance du choc qui se produirait lorsqu’un type du coin – comme l’affreux rencontré à la fête d’Emma et Michel – s’aventurerait à le lire.) J’étais loin de penser que c’est moi qui serais happée par l’œuvre d’un poète qui a choisi de s’installer dans ce qui, pour moi, n’est qu’un désert végétal… quand ce n’est pas d’inquiétantes forêts feuillues. Et là, je songe avec mélancolie à Sylvain. Que  ne donnerais-je pas pour une de ces balades romantiques dont il a le secret ! Dommage que je ne les ai pas appréciées à leur juste valeur. À ma décharge, il semblait justement apprécier, lui, que je contienne mes émotions devant ces élans... très imaginatifs. Quelles parties de rires finalement ! Avec lui, moi aussi j'étais une princesse d’un autre monde ! Il déjouait tous les maléfices. Malgré moi. Et s’il n’avait pas survécu ? Non, ce n’est pas possible. Il a sauvé Jonas. Je le sens !

 

Mais Alex m’entraîne déjà en arrière et nous rejoignons le château en trottinant. Il s’agit d’une demeure composée de différents blocs de trois étages donnant une allure à la fois ramassée sur elle-même et savamment pensée.

— Regarde, il est beau, hein ?

La fillette me montre un colosse : le séquoia qui dépasse les balustrades entourant le toit et qui offre une colonne majestueuse. Je souris en concluant cependant :

— Grave, mais il est temps de reprendre la route, princesse.


Extrait de À la hauteur

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