Réfléchissons aux livres qui nous ont apporté la nature sur un plateau, soit
pour réfléchir à ce que nous en faisons, soit plus simplement, pour plonger
dans un décor où le narrateur se sent à son aise, voire dans une nature
qui garantit des ressources essentielles. Ici je traiterai de
l'éco-fiction au sens large, en m'appuyant sur des livres où la nature joue un
rôle primordiale, sans que l'intention de l'auteur soit forcément de
sensibiliser aux enjeux écologiques.
De mon côté, l'éco-fiction est un genre nouveau dans le lequel je me suis
lancée pour l'écriture de À la hauteur. Il me paraît important de développer l'impact de la lecture pour une meilleure connexion à la nature, car le sujet des urgences climatiques devient de plus en plus anxiogènes et qu'il n'est pas facile de se positionner face à ces exigences.
Des cadres bucoliques aux mondes extrêmes
Une histoire est placée dans un cadre plus ou moins bucolique qui nous permet
de nous transporter dans tel ou tel milieu naturel. Dans
L'enfant et la rivière de Henri Bosco, Pascalet découvre
l'univers enchanteur et inquiétant de la rivière à ciel ouvert. Ici, la nature
a des vertus éducatives. Dans le roman de Sandrine Colette,
Madelaine avant l'aube, les villageois, sous le joug d'un
seigneur autoritaire, n'ont d'autres ressources que celles tirées de la
nature, pour lesquelles le tyran leur a d'ailleurs octroyé de bien maigres
droits. La nature est scrutée pour en tirer un maximum de profit, elle octroie
des années de vie difficile.
Reconstruire l'humanité : le post-apocalyptique comme espoir
D'autres histoires se placent dans des situations plus imaginaires et encore
plus extrêmes comme le roman de Marie Pavlenko
Et le dessert disparaîtra. Ici, la jeune Samaa, personnage
touchant qui trouve sa voie dans l'aridité du désert - et même ouvre une
possibilité pour les siens -, vit une expérience initiative prenante. Sa tribu
doit filtrer sa propre urine pour avoir de l'eau, ce qui n'est pas d'ailleurs
sans rappeler le distille d'une fiction célèbre que certains d'entre vous
connaissent, j'en suis sûre... : Dune de Frank Herbert.
L'humain d'abord
Ces histoires extrêmes n'ont pas d'abord pour fonction de nous enseigner
comment utiliser les ressources naturelles ou à nous apprendre des techniques
de survie. Elles nous invitent plutôt à nous positionner par rapport à la
nature, possiblement en prévisions d'événements naturels à venir, mais pas
forcément non plus. Finalement, si la nature prend une place dominante, les
personnages, qui guident le récit, sont bien des êtres humains.
Le pouvoir de l'imagination
En quoi ces lectures nous préparent à mieux réagir aux besoins de notre
environnement ou à affronter des catastrophes naturelles potentielles ? La
littérature de fiction, voire de science-fiction, fait appel à notre
imagination pour nous amener à déterminer ce qui nous paraît finalement
justifié. Peu importe qu'il s'agissent de situations possibles, l'idée est
d'entraîner notre imagination, un peu comme un muscle, pour approcher
de plus en plus près ce que nous comprenons, ce que nous jugeons crédible, ce
que nous envisageons. Elle nous amène à nous demander ce que nous considérons
comme juste ou acceptable. En d'autres termes, elle nous prépare non pas à
affronter la catastrophe, mais à y réagir avec nos valeurs.
A la hauteur : une écofiction cosy post-apocalytique
Au-delà de la catastrophe : la résilience matérielle et sociale
En ce qui me concerne, j'ai travaillé avec des astrophysiciens et divers scientifiques pour examiner comment les évènements de mon livre À la hauteur pourraient se produire. J'ai choisi de garder mon hypothèse fictionnelle même une fois que j'ai établi qu'il est impossible que ces évènements se réalisent comme je les ai imaginés. Ceci contre l'avis d'un certain scientifique connu... En effet, À la hauteur n'a pas pour objet d'aboutir à une publication scientifique. D'ailleurs, une fois l'histoire établie dans un milieu devenu a priori hostile, je propose avant tout une reconstruction tant sur le plan matériel que sur le plan sociologique. Mon roman qui pourrait être de prime abord classé en post-apocalyptique est finalement un cosy post-apocalyptique. Il s'agit de centrer le déroulement de l'histoire sur la reconstruction et cette reconstruction passe par un lien retissé avec la nature, mais aussi par un lien au sein de la nouvelle société qui émerge de ce chaos, dont il faudra par ailleurs déterminer les nouvelles règles.
Modernité et écologie : un équilibre possible
Une remarque à ce sujet : dans mon roman, il ne s'agit pas de rejeter la
modernité. Si dans mon récit, il n'y a plus ni Internet, ni l'électricité, le
besoin en énergie et en moyens de communication est toujours là et il
est toujours souhaitable de remettre en route les différents réseaux...
peut-être en réfléchissant autrement. J'ai pris l'hypothèse que, par exemple,
on ne chercherait pas forcément à relancer le nucléaire. Quant au besoin de
transport ou de communication ou , on réhabilite des moyens du passé.
Pourtant, par exemple, la remise en route d'Internet à terme ne paraît pas
illogique. Toutefois, on le relancera probablement d'une autre manière.
Les convictions de l'auteur derrière le récit
Chaque auteur, aussi imaginatif soit-il, s'appuie sur un modèle. De mon côté,
au-delà des reconstructions proposées, j'ai écrit mon livre avec des
convictions écologiques. D'ailleurs, au départ, j'avais l'intention
d'organiser cet atelier en partenariat avec l'AMAP de la Duchère. Je suis
convaincue que cette association et le mouvement écologique en général portent
des solutions saines et de bon sens. D'ailleurs, pour ceux qui voudraient en
savoir plus sur le fonctionnement de l'Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne, des flyers sont à votre disposition.
Finalement, j'ai pris conscience que le lecteur de
A la hauteur pourrait être amené, à partir de sa lecture, à appréhender
différemment les scénarios inattendus que nous pourrions vivre, à mieux se
préparer à des bouleversements potentiels. Et c'est aussi dans cette optique
que j'ai tout de même pris soin, en postface, de détailler et de
documenter ce qui pourrait être possible et ce qui reste impossible -
ici, contre l'avis de ma relectrice préférée.
Cependant, je conclurais avec un conseil de F. Herbert, rapporté dans un
podcast de Radio France
qui, plutôt que de prôner des préceptes écologiques, incite à la prise de
conscience personnelle :
N'abandonnez pas toutes vos facultés critiques face aux personnes au
pouvoir, peu importe à quel point elles semblent admirables.
C'est bien l'objet de la saga célèbre Dune, qui a traversé les dernières
décennies. Ayons confiance dans les scientifiques et les politiques qui
travaillent sur la protection de la nature, mais aussi en nos
intuitions, aux grains de sable qui constitueront des solutions au bout
du compte.
J'espère que ce détour sur l'une des fonctions de la littérature, qui nous
invite à trouver notre place et notre rôle au sein de la nature, vous donnera
de nouvelles clefs de lecture. Pour moi, l'éco-fiction n'a pas vocation à nous
proposer des leçons d'écologie, mais plutôt à affiner notre perception de ce
que nous sommes et devons être à l'égard de la nature. Je me souviens de mes
cours de philosophie où l'on parle aussi de nature... humaine... Cependant, je
risque de nous perdre si je m'avance dans cette voie. Cela dit, je pense que
l'éco-fiction, en parlant de la nature qui nous entoure, nous parle aussi de
nous ! Et elle peut être un outil pour mieux affronter les
urgences climatiques.