Ciao bella, extrait

Stella est une fillette handicapée : elle doit rester allongée pour que sa hanche se reconstitue correctement et puisse de nouveau accueillir son fémur. Mais Benjamin ne l'entend pas de cette oreille et va obtenir de Louisa, chargée de veiller sur elle, une sortie pour le moins inhabituelle...
Dans ce roman, le handicap est traité avec optimisme, sans sous-estimer les difficultés non plus. Stella a été qualifiée de « lumineuse » dans un retour de lecture.


Extrait




— Stella se demandait si elle n’irait pas se promener dans le village.
— Comment ? rétorqua Louisa, ahurie.
— Je voulais lui faire faire un petit tour, expliqua-t-il. Je crois qu'elle s'ennuie beaucoup dans son lit.
— Oh oui Louisa, s’il vous plaît, s’il vous plaît ! renchérit l’enfant.


Ils peinèrent à argumenter, jusqu’à ce que Stella indiquât son souhait de voir l’église de près.

— Peut-être que je pourrais même entrer dedans.

Louisa s’appliquait les préceptes de la religion catholique avec une telle ferveur qu’elle en avait fait fuir ses quelques prétendants. Sa flamme avait été ranimée par une franche réprobation du culte protestant bien enraciné dans la région. Le boucher racontait encore comment elle avait, en plein marché, prit la défense de la Sainte vierge contre ceux qui voulaient manifestement la détrôner. Offusquée par la place du pasteur relégué pour elle à celle d’un vague conseiller, elle se faisait par ailleurs un point d’honneur à répondre aux moindres demandes du curé du village. Elle se rendait chaque jour à l'église, au moins pour effectuer un signe de croix trempé d'eau bénite. Alors, quand sa jeune protégée émit le souhait de s’approcher de l’église, Louisa y vit un signe favorable pour sa guérison tant attendue. Finalement, elle accepta de rapporter la précieuse clef. Elle donna même un peu d’aide, en maugréant, pour engager le lit sur le chemin. Puis elle retint le chien qui menaçait de partir avec eux.

— Vous faites juste un petit tour, hein ? Sinon, madame va être furieuse…
— Ne vous inquiétez pas Louisa, on sera sage, promit Stella, les yeux brillants d’impatience.



Quand ils s’échappèrent et que Benjamin donna une impulsion au lit en s’arc-boutant, Stella cria, les bras ouverts :

— Waouh !

Les paillettes de sa robe brillèrent sous la lumière d’un lampadaire. Ils longèrent l'église, s’engouffrèrent dans une petite route, au hasard, la lune devant eux. Au fond, le feu passa au rouge. Benjamin ralentit, mais passa outre, et tourna à droite. Comme ils se trouvaient sur la chaussée, une voiture, surprise, klaxonna. Plus loin, il immobilisa le lit, juste devant un chat qui miaula d’effroi. Benjamin et Stella furent alors pris d’un fou rire communicatif, ce qui déclencha des protestations :

— C’n’est pas bientôt fini tout ce barouf ? s’indigna une voix masculine avec colère.

Ils s’éloignèrent en pouffant.

— Arrête-toi, réclama soudain la petite fille.

Autour d’eux : une boulangerie, un salon de coiffure, une boucherie… Stella en avait entendu parler ; elle n’y était jamais entrée. Elle était arrivée en ambulance dans le village. Elle lui demanda d’approcher le lit, au plus près. Un peu plus loin, ils croisèrent une femme enveloppée dans un manteau. Elle fumait une cigarette, les pieds nus sur l’asphalte. Ils ne rencontrèrent personne d'autre. Le village n'avait qu'un bar, fermé le soir. Et de toute façon, sa population était vieillissante. Ils aboutirent à un endroit dégagé. Ils admirèrent au loin le village de Prabès et au-dessus les contreforts des Cévennes qui se découpaient dans le ciel.

La fillette resta silencieuse puis s’enquit :

— Et là-bas, tu connais ?

Benjamin s’assit au bord du lit.

— Là-bas, c’est Saint-Christophe, puis Prabès, expliqua-t-il.

Il lui décrivit les coutumes de Prabès, ses moutons, ses fêtes, ses espoirs, l’histoire qui collait à ses murs et lui parla du « puech » : le mamelon qui le surplombait et qui menaient aux estives.

— Quand j’étais jeune, mes amis me disaient que j’étais le roi du monde là-haut !
— Sympa, fit Stella doucement.

Ils rentrèrent en silence en passant par l’église. Comme il y avait une rampe pour handicapés et que la porte n'était pas fermée à clef, ils y pénétrèrent sans peine.



Quand ils arrivèrent en vue du portail de la maison des Merbès, Louisa les attendait. Benjamin poussa le lit jusqu’à la chambre et lui demanda de laisser dormir la fillette.

— Elle n’est même pas en pyjama, protesta la jeune femme.
— Trop tard, elle dort, laissez-là. Ce soir, elle a oublié un peu ses os qui ne veulent plus se recoller comme il faut.

Il jeta un dernier regard à Stella, endormie, la collerette de sa robe enfoncée dans la joue.


Extrait de Ciao bella

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