Un tournant inattendu : quand Nathanaël tombe dans un piège. La scène se déroule dans une zone transitoire, à l'écart du boulevard principal où il a ses habitudes.
Nathanaël consulta sa montre, il était temps de se rendre à son rendez-vous. Il rejoignit le boulevard en évitant instinctivement le QG et commença à le descendre.
Il ne remarqua pas l’éboueur qui lui emboîta le pas.
De l’autre côté de la chaussée, le trottoir était quasi nettoyé de
l’effervescence du marché. Construite à la place de fortifications, l’artère,
large et austère, devenait une promenade grâce à l’ombre de ses platanes. Il
pensa à son père qui s’extasiait souvent devant la richesse de ses immeubles,
alliant sobriété au nord, du côté de leur arrondissement, et distinction au
sud : le trottoir opposé appartenait au 1er arrondissement, et certaines
constructions étaient, elles, enrichies de pierres de tailles et de
sculptures. Trêves de rêveries : l’étudiant atteignit rapidement le Clos
Jouve, d’un pas quasi militaire, une impatience nerveuse le poussant en avant.
Lorsqu’il s’enfonça dans la verdure épaisse du haut
des Balmes, pour couper via la Montée Hoche après la fin du
boulevard, une voix forte l’appela :
— Payin !
Il se retourna, étonné. Un éboueur descendait vers lui. Quand il arriva à
proximité, il sortit soudain un revolver de sa poche et, les sourcils froncés
et les pupilles contractées, il ordonna :
— Avancez tranquillement dans les escaliers et n’essayez pas de m’échapper !
Nathanaël balaya les alentours du regard : deux murs l’enserraient. S'il se
mettait à courir, il ne pourrait pas éviter les tirs. Il obtempéra : l'autre
semblait déterminé.
— Que me voulez-vous ? demanda-t-il, la gorge sèche.
Son interlocuteur ne répondit pas et désigna les escaliers. Le jeune homme
prit les petites marches deux à deux, en longeant le mur, pour le surveiller
d’un œil. L'éboueur s'essoufflait et boitait. Il lui ordonna de ralentir. Ils
étaient seuls ; l’étudiant céda encore. Enfin, l'odeur d'urine s'atténua, ils
atteignaient le quai. Un groupe d'adolescents étaient en vue sur la droite,
ils passeraient en dessous de l’escalier dans quelques secondes ! Mais leurs
éclats de rire se mêlaient à des phrases assassines et ils ne prirent pas
conscience du drame : Nathanaël ne parvint pas à les alerter. Quant aux
automobilistes, ils roulaient trop vite pour faire attention à l’étrange
couple. Leurs vrombissements s’éloignaient en ignorant le traquenard qui
acculait l’étudiant.
L’homme lui désigna une BX aux vitres teintées. Il se plaqua à lui, lui passa
des menottes et le propulsa à l’intérieur. La porte se rabattit en un bruit de
métal caverneux. L’étudiant sentit sa gorge s’épaissir, son thorax se
compresser. L’homme fit le tour de la voiture, son œil était toujours aussi
attentif. Nathanaël paniqua :
— Que me voulez-vous à la fin !