La nuit du premier jour, Theresa Révay


Saviez-vous qu'en 1920, la Syrie est passée sous la tutelle de la France ? Un pan de l'histoire française et syrienne que j'ignorais. 

Blanche, née en Syrie, est mariée contre sa volonté à un soyeux Lyonnais et doit abandonner ses enfants, quand elle rencontre Salim. 

Lyonnaise, j'ai aimé découvrir l'héroïne sur la colline de la Croix-Rousse, restituée dans son décor du XIXᵉ. 
 
De retour en Syrie, Blanche est déchirée entre son amour filial et son choix de reprendre sa vie, auprès de Salim. Ce drame entre en résonance avec l'arrivée de la guerre et l'éclatement des pays orientaux après la chute de l'Empire ottoman : l'occasion de découvrir une autre facette de ce monde cosmopolite, même si les enjeux m'ont paru parfois bien complexes. 

Une saga dont les personnages affichent des sensibilités bien trempées et qui révèle les liens méconnus de la France et de la Syrie à travers l'industrie de la soie. 
Un livre dense qui m'a tenue en haleine jusqu'à la fin.

Ciao Bella, extrait

 


 Les Causses, des paysages puissants et reculés à la fois : lieu d'origine de Benjamin. Âpres et ensoleillés, ces paysages calcaires modelés par le temps, aux excroissances étonnantes, entraînent le lecteur dans des régions peu connues...


Extrait

Après avoir traversé les paysages jaunis et ondulants des plaines du sud-ouest de la France, Benjamin s’engagea dans des lacets abrupts. Aux terres colorées atteignant parfois de sombres rouges, succédaient des hauts reliefs calcaires émiettés. Devant lui, des barres rocheuses chapeautaient des langues puissantes, encerclant, à leur pied, de petites dolines fertiles et annonçaient les grands causses surplombant Prabès. Le chant des grillons s'atténuait au fur et à mesure qu'il montait. Au bout d’une demi-heure, il aperçut les murs d’enceintes du village, rongés par le temps. Une végétation rousse s’échappait de ses pierres grises par touffes rebelles. Une tour aux reflets mordorés marquait l'entrée. Il n’en restait pas grand-chose, mais ses fondations s’enracinaient avec obstination dans le sol.

Benjamin se gara sur une place craquelée par les racines de son chêne, puis redescendit une cinquantaine de mètres à pied. Il vit de loin l’enseigne « chez Lolo », qui avait perdu une lettre. À cet endroit, la rue cabossée et creusée de nids de poule était entaillée d’une terrasse en bois. Il pénétra à l’intérieur du bar d’un pas décidé.

Madelaine avant l'aube, Sandrine Collette


 Un récit puissant : la misère absolue auréolée d'une prise de conscience, grâce, ou à cause de — on ne se sait plus trop — cette enfant surgie d'on-sait-où : Madelaine ose s'octroyer des droits dans un monde médiéval où le maître laisse à peine celui de survivre.

Le récit est noir, mais la plume affûtée. Nous sommes au cœur de l'injustice, de la douleur, et parfois du courage qui porte au-delà de ses limites.

Marquant.

Ciao Bella, extrait

Benjamin a pris des risques pour défendre ses convictions et retrouve enfin son collègue et ami, chez lui, en Italie.


Extrait

Mario et Benjamin retrouvaient peu à peu le lien qu’ils avaient tissé en Chine, puis tout au long de leurs années de collaboration d’expatriés. Malgré le coup d'éclat de Benjamin qui, pour Mario, avait eu des airs de désertion. Et malgré le silence radio que le fugitif avait imposé à tous pour préserver sa sécurité.


Benjamin regarda d’un œil bienveillant la nouvelle vie de Mario : ce dernier semblait plus assuré. Toujours le même sourire dans son visage rond… Cependant, ici, il forçait moins le trait. Ses vêtements étaient imperceptiblement plus chics que ce à quoi Benjamin était habitué : un polo, mais avec un col doublé ; un pantalon en toile, mais ajusté. Mario s’était par ailleurs fait connaître auprès des institutions italiennes. Il n'était pas près de repartir : Benjamin comprit qu'il ne l'entraînerait pas avec lui. Mais il profita des virées avec les amis de Mario, explora la ville avec plaisir. En imaginant sa tante Emma avec son appareil photo, il en capta la lumière, découvrit une fontaine, détailla des gargouilles…

L'horloge de Tassin-la-Demi-Lune

Mathilde et Sylvain  retournent à la Duchère en traversant un monde dévasté, car l'eau est montée de cinq cents mètres. Mais, des joyaux demeurent :


— Il ne manquait plus que ça. Une voiture maintenant !

En entendant Tony conseiller d’ouvrir les portières pour la vider de l’eau résiduelle, je ne peux m’empêcher de m’approcher, mue par une curiosité… certes quelque peu morbide. Il se trouve qu’à l’exposition, j’ai rencontré un romancier opportuniste voulant créer une intrigue dans l’air du temps (ou plutôt à l’image de l’eau apocalyptique ?) et il m’a appris que les cadavres conservés dans l’eau ne dégagent pas de mauvaises odeurs corporelles. Il m’a même parlé de momies qui avaient engagé un processus de saponification après un séjour dans l’eau.

La barque de Masao, Antoine Choplin

 

Antoine Choplin nous plonge d'emblée dans une ambiance poétique, et rude à la fois. 
Masao est ouvrier, malmené, et accueille la visite de sa fille Harumi comme un cadeau du ciel. On comprend le vide que son absence a creusé dans sa vie. 
Une autre raison de se réjouir est l'accomplissement d'Harumi en tant qu'architecte et son œuvre unique, immense et concentrée permet à l'auteur de réparer le lien filial. Il y a aussi les souvenirs de Kazue, la mère, que Masao transmet avec émotion, ainsi que son goût pour la lecture. 
Le décor, où il est aussi question d'une certaine barque, et d'un phare également, achève de donner une force inégalable à cet opus.
Une lecture de toute beauté.

Ciao bella, extrait

Stella est une fillette handicapée : elle doit rester allongée pour que sa hanche se reconstitue correctement et puisse de nouveau accueillir son fémur. Mais Benjamin ne l'entend pas de cette oreille et va obtenir de Louisa, chargée de veiller sur elle, une sortie pour le moins inhabituelle...
Dans ce roman, le handicap est traité avec optimisme, sans sous-estimer les difficultés non plus. Stella a été qualifiée de « lumineuse » dans un retour de lecture.


Extrait




— Stella se demandait si elle n’irait pas se promener dans le village.
— Comment ? rétorqua Louisa, ahurie.
— Je voulais lui faire faire un petit tour, expliqua-t-il. Je crois qu'elle s'ennuie beaucoup dans son lit.
— Oh oui Louisa, s’il vous plaît, s’il vous plaît ! renchérit l’enfant.


Ils peinèrent à argumenter, jusqu’à ce que Stella indiquât son souhait de voir l’église de près.

— Peut-être que je pourrais même entrer dedans.

Louisa s’appliquait les préceptes de la religion catholique avec une telle ferveur qu’elle en avait fait fuir ses quelques prétendants. Sa flamme avait été ranimée par une franche réprobation du culte protestant bien enraciné dans la région. Le boucher racontait encore comment elle avait, en plein marché, prit la défense de la Sainte vierge contre ceux qui voulaient manifestement la détrôner. Offusquée par la place du pasteur relégué pour elle à celle d’un vague conseiller, elle se faisait par ailleurs un point d’honneur à répondre aux moindres demandes du curé du village. Elle se rendait chaque jour à l'église, au moins pour effectuer un signe de croix trempé d'eau bénite. Alors, quand sa jeune protégée émit le souhait de s’approcher de l’église, Louisa y vit un signe favorable pour sa guérison tant attendue. Finalement, elle accepta de rapporter la précieuse clef. Elle donna même un peu d’aide, en maugréant, pour engager le lit sur le chemin. Puis elle retint le chien qui menaçait de partir avec eux.

— Vous faites juste un petit tour, hein ? Sinon, madame va être furieuse…
— Ne vous inquiétez pas Louisa, on sera sage, promit Stella, les yeux brillants d’impatience.



Quand ils s’échappèrent et que Benjamin donna une impulsion au lit en s’arc-boutant, Stella cria, les bras ouverts :

— Waouh !

Les paillettes de sa robe brillèrent sous la lumière d’un lampadaire. Ils longèrent l'église, s’engouffrèrent dans une petite route, au hasard, la lune devant eux. Au fond, le feu passa au rouge. Benjamin ralentit, mais passa outre, et tourna à droite. Comme ils se trouvaient sur la chaussée, une voiture, surprise, klaxonna. Plus loin, il immobilisa le lit, juste devant un chat qui miaula d’effroi. Benjamin et Stella furent alors pris d’un fou rire communicatif, ce qui déclencha des protestations :

— C’n’est pas bientôt fini tout ce barouf ? s’indigna une voix masculine avec colère.

Ils s’éloignèrent en pouffant.

— Arrête-toi, réclama soudain la petite fille.

Autour d’eux : une boulangerie, un salon de coiffure, une boucherie… Stella en avait entendu parler ; elle n’y était jamais entrée. Elle était arrivée en ambulance dans le village. Elle lui demanda d’approcher le lit, au plus près. Un peu plus loin, ils croisèrent une femme enveloppée dans un manteau. Elle fumait une cigarette, les pieds nus sur l’asphalte. Ils ne rencontrèrent personne d'autre. Le village n'avait qu'un bar, fermé le soir. Et de toute façon, sa population était vieillissante. Ils aboutirent à un endroit dégagé. Ils admirèrent au loin le village de Prabès et au-dessus les contreforts des Cévennes qui se découpaient dans le ciel.

La fillette resta silencieuse puis s’enquit :

— Et là-bas, tu connais ?

Benjamin s’assit au bord du lit.

— Là-bas, c’est Saint-Christophe, puis Prabès, expliqua-t-il.

Il lui décrivit les coutumes de Prabès, ses moutons, ses fêtes, ses espoirs, l’histoire qui collait à ses murs et lui parla du « puech » : le mamelon qui le surplombait et qui menaient aux estives.

— Quand j’étais jeune, mes amis me disaient que j’étais le roi du monde là-haut !
— Sympa, fit Stella doucement.

Ils rentrèrent en silence en passant par l’église. Comme il y avait une rampe pour handicapés et que la porte n'était pas fermée à clef, ils y pénétrèrent sans peine.



Quand ils arrivèrent en vue du portail de la maison des Merbès, Louisa les attendait. Benjamin poussa le lit jusqu’à la chambre et lui demanda de laisser dormir la fillette.

— Elle n’est même pas en pyjama, protesta la jeune femme.
— Trop tard, elle dort, laissez-là. Ce soir, elle a oublié un peu ses os qui ne veulent plus se recoller comme il faut.

Il jeta un dernier regard à Stella, endormie, la collerette de sa robe enfoncée dans la joue.


Extrait de Ciao bella

Les chevaucheurs

 Dans notre monde ultra-connecté, il est facile d'oublier les pionniers de la communication. Avant les e-mails et les SMS, il y avait les chevaucheurs de l'écurie du roi, véritables messagers royaux galopant à travers les campagnes. Ces cavaliers intrépides, équipés de... leurs bottes de sept lieues*, reliaient les différents points du royaume à une vitesse vertigineuse pour l'époque : un bon chevaucheur pouvait relier quatre relais dans une journée, soit une distance d’à peu près 90 km, ce qui était considérable pour l’époque. Le maître de poste, figure emblématique de ce réseau, veillait au bon fonctionnement des relais et assurait la fluidité des communications. Il est le « chevaucheur tenant la poste du roi » dont le titre disparait en France en 1873, à la suite du développement des chemins de fer et des gares ferroviaires. Mais, au temps des diligences, le maître de poste était une figure incontournable des routes. Tel que le définissait l'édit de Louis XI en 1464, il était le garant d'un réseau de relais assurant la circulation des courriers royaux.

Bien que leurs métiers aient disparu, leur héritage demeure !

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